Relier les humanités et les entreprises

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J’ai grandi dans un monde bien étrange, presque impossible et pourtant bien réel...

Dans ma famille, tout le monde était fonctionnaire – tout le monde –. Il y avait des livres partout, et comme dans les romans de Pagnol, il me semblait que ces livres, cette culture, étaient l’atmosphère naturelle et réservée des maîtresses et des maîtres d’écoles, et par extension des fonctionnaires.

Dans ce monde‑là, les entreprises n’existaient pas. 

La belle « composition française » qu’évoque brillamment Mona Ozouf à propos de l’école républicaine et de l’Eglise, cette composition, appliquée aux Humanités et aux entreprises n’opérait pas, puisque les entreprises étaient absentes. 

Lors de mes études, au sein d’une école publique dévolue aux sciences humaines, à l’histoire, à la philosophie, à la sociologie, les entreprises n’existaient pas non plus, ou si peu.

Par nécessité j’ai découvert « le privé » en y travaillant ensuite, sûr de me faire égorger à chaque coin de couloir : une telle terra incognita ne pouvait qu’être peuplée de barbares. Mais les années ont passé sans égratignure.

Et puis s’est imposé le constat criant de ce « grand fossé », peut‑être plus manifeste en France qu’ailleurs, qui sépare si souvent d’un côté une large partie du « monde de la culture » et du « monde académique », et d’un autre côté les entreprises.

Ce grand fossé est certainement illégitime et assurément néfaste. Pétri de préjugés, il charrie autant de stéréotypes que d’idées fausses.

Au début de ma vie professionnelle, dans « le privé », j’ai découvert que les entreprises créaient de la valeur… : personne ne me l’avait jamais dit, ni dans ma famille ni pendant mes études, ni a fortiori que cette « valeur » finance à peu près l’ensemble de notre société… Je crois qu’il existe encore des gens qui ne le savent pas. Mais cette fois à l’inverse de ce que dit Pagnol, c’est peut‑être une vérité bonne à dire aux enfants. 

Aujourd’hui, plus que jamais, notre monde exige le compagnonnage, voire les noces des « Humanités » (sans exclusive : histoire, philosophie, littérature, arts, géopolitique et géographie, économie, démographie, anthropologie...) et des entreprises ; surtout quand l’avenir se fait souvent peu lisible et morose, quand la planète se recompose, quand le travail se métamorphose, quand la transformation s’impose.

« Tout apprentissage consiste en un métissage » écrivait le très regretté Michel Serres, dans « Le tiers instruit ». Il pensait au mariage des Humanités et des sciences ; cela vaut aussi pour les Humanités et les entreprises, leurs stratégies, leurs anticipations stratégiques et leurs innovations.

C’est un combat. 

Et pour moi, ce combat est un peu la réécriture d’une enfance vécue dans un monde bien étrange, qui fort heureusement doit être aujourd'hui tout à fait révolu….


Crédit photo : Autoportraits, Vivian Maier


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