La RSE demande du courage
Le développement d’une politique RSE pertinente pour une entreprise demande à la fois du courage et de la clairvoyance pour éviter les deux écueils principaux : le renoncement et le cynisme.
La politique du renoncement, c’est lorsque l’entreprise, par paresse, méconnaissance ou naïveté se met à adhérer à toutes les causes « à la mode ». Il est vrai qu’il peut être parfois difficile de dire « non » lorsque l’on est sollicité par des associations ou des individus portant des causes toutes plus
pertinentes que les autres (en tout cas selon leurs auteurs).
De peur de paraitre « réac », ou de se déconnecter d’une génération Y ou Z pour qui ces sujets seraient essentiels selon leurs promoteurs, voici que l’entreprise affirme haut et fort des valeurs qui sont parfois fort éloignées de ses propres préoccupations et de son métier. Si la satisfaction d’être « in » peut l’emporter pendant quelques temps, les risque de ce renoncement ne sont pas nuls. Le premier, évident, est de se retrouver rapidement en porte‑à‑faux. Il peut être facile de communiquer sur l’appropriation d’une cause, il l’est beaucoup moins de s’assurer qu’elle est effectivement mise en œuvre dans toute l’entreprise. Et certaines parties prenantes ne manqueront pas rapidement de souligner toute divergence entre discours et actes. Mais plus grave, cette politique d’adoptions de causes aboutit surtout à importer le communautarisme galopant de nos sociétés dans l’entreprise elle‑même. Et voici que le corps social « s’archipelise », pour reprendre le titre de l’ouvrage de Jérôme Fourquet. Cette fragmentation communautaire, mortifère pour les démocraties, ne l’est pas moins pour les entreprises. Comment va‑t-on pouvoir faire travailler ensemble des personnes dans un environnement où chacun porte et promeut ses valeurs, parfois opposées à celles de son collègue de travail ?
L’autre risque majeur des politiques RSE est le cynisme, c’est‑à‑dire le fait de remplacer le sens de
l’action par la méthode. Les récentes législations environnementales européennes accroissent considérablement ce risque. En effet, au prétexte d’une plus grande transparence, voici que les politiques RSE des entreprises sont traduites en plans d’actions et multitudes de KPI (indicateurs de performances). Il ne s’agit plus de faire « bien » mais de produire des centaines de données (tonnes de CO2 rejetées, litres d’eau consommés, alertes reçues, heures de formation…) qui ensuite seront mises à disposition de toutes parties prenantes qui souhaite les consulter. S’il peut être important de mesurer (mais ce n’est en aucun cas une condition suffisante), la mesure ne doit pas devenir la finalité, d’autant que ces multiples données ont pour principal objectif, rappelons‑le, d’aider le monde financier à orienter ses flux financiers vers les entreprises les plus « performantes ». L’enjeu ici n’est donc pas de mettre en œuvre une politique RSE, mais de produire les bonnes données qui vont faire que l’investisseur va investir dans l’entreprise et les banques continuer de la financer. L’approche « cynique » n’est pas virtuelle ; il y a sans doute beaucoup d’entreprises, telle Orpea, qui disposent d’une notation RSE excellente tout en n’ayant aucune vision ni conviction en matière de RSE.
Alors, qu’est‑ce qu’une bonne politique RSE ? C’est avant tout du courage. Le courage de dire « non » aux sollicitations, aussi louable soit la cause, qui ne sont pas en lien avec les valeurs de l’entreprise. Le courage d’avoir avant tout une vision stratégique de la RSE et de ne prendre les données que pour ce qu’elles sont : un moyen de l’atteindre, en aucun cas une fin.
C’est une ligne de crête complexe, mais essentielle. Comme pour l’alpinisme, le secret de la réussite
réside dans la capacité de regarder à la fois les sommets à atteindre et l’endroit où l’on pose le pied.